Construction de Baluchon

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lundi 14 novembre 2022

Le tour du monde avec mon Baluchon

Cette fois ci, il est dans les bacs des librairies; le livre témoignage "Le tour du monde avec mon baluchon" de Yann Quenet, aux éditions Le cherche Midi vient de paraitre.

 

jeudi 30 juin 2022

Récit de la Traversée Brésil - Açores

Yann QUENET nous dévoile son interview à Voiles et Voiliers sur sa page Facebook;

"Pour ceux qui ne sont pas abonnés à Voiles et Voiliers, une retranscription de l'interview. "

 
Photo: Magaly de Falbala.


 
Interview de Yann Quenet aux Açores : « J’ai cru que mon bateau allait exploser ! »
[Par Christophe FAVREAU de Voiles et Voiliers]
 
Même s’il a progressé à vitesse lente, au près la quasi-totalité du temps depuis son départ du Brésil il y a 62 jours, le marin minimaliste breton parti à l’assaut du monde il y a près de trois ans à bord de son micro voilier de 4 mètres de long à bien cru sa dernière heure arrivée, pris dans un grain dantesque alors qu’il tentait de s’extirper d’un méchant pot au noir. Contacté par Voiles et Voiliers, il raconte cet épisode spectaculaire.
 
"Je ne m’étais pas vraiment préparé à un tel scénario"
 
Voiles et Voiliers : Yann, vous devez être content d’arriver enfin non ? C’était plus long que prévu !
 
Yann Quenet : Oui c’est vrai ! Mais c’était bien quand même. J’avais imaginé une remontée d’une quarantaine de jours pour rejoindre les Açores au départ du Brésil (Yann avait quitté la Marina Jacaré situé à une centaine de kilomètres au Nord de Recife le 26 avril dernier, NDR) mais j’aurais finalement mis 62 jours pour rejoindre les Açores. J’ai été un peu trop optimiste ! Toute la zone des alizés s’est faite dans 25 nœuds au près, ce qui sur un bateau normal est déjà un peu dur mais sur un bateau de 4 mètres seulement, ça secoue beaucoup ! Après le Cap Vert, l’alizé était beaucoup plus modéré mais du coup je n’allais vraiment pas vite, avec des moyennes journalières d’une cinquantaine de milles. Je reconnais que c’était un peu long d’autant que je ne m’étais pas vraiment préparé à un tel scénario, contrairement à mon départ de Nouvelle-Calédonie en direction de l’île de la Réunion. Là je savais que cela allait être long mais ce périple n’a finalement duré que 15 jours de plus que cette remontée du nord du Brésil vers les Açores, beaucoup moins longue théoriquement. J’ai même fait l’erreur de m’enthousiasmer trop vite à la fin des alizés quand j’ai commencé à faire cap direct vers les Açores. J’ai fait l’erreur de penser que je n’en avais plus que pour 10 jours alors que j’ai finalement mis un mois à rejoindre Horta ! Une grosse dépression a généré du vent de Nord qui m’a barré la route. J’ai dû le prendre avec philosophie et me dire que j’allais bien arriver un jour quelque part ! Il fallait rester stoïque et vivre la navigation au jour le jour, sans se projeter.
"C’était vraiment cauchemardesque. J’ai même cru que ma fin arrivait."
 
Voiles et Voiliers : Et comment s’est passée la traversée du pot au noir ?
 
Yann Quenet :  J’en ai bien bavé ! J’ai notamment dû affronter un grain terrible, une tornade tellement forte que j’ai cru que mon bateau allait exploser ! Cela a duré un quart d’heure mais c’était absolument incroyable, démentiel… J’ai vraiment cru que mon petit Baluchon allait se disloquer. C’était à la tombée de la nuit, après une longue journée sans vent. Il faisait extrêmement chaud et il s’est mis à faire tout noir d’un seul coup. Le vent est monté, très très fort, au point que même à sec de toile, le bateau gîtait à 45 degrés, tout le temps de ce phénomène extrême. Le compas est devenu fou. J’ai été secoué très violemment sans trop comprendre ce qui m’arrivait. C’était vraiment angoissant car j’avais eu jusqu’ici totalement confiance dans la solidité de mon bateau mais la violence des éléments dépassait les limites de l’entendement. Je ne savais plus si l’eau qui tombait en trombe arrivait du ciel où de mer, cela venait de partout. La pression était telle que cela dégoulinait partout à l’intérieur. C’était vraiment cauchemardesque. J’ai même cru que ma fin arrivait. Et puis tout est soudainement redevenu très calme, au bout d’une quinzaine de minutes.
"J’ai vraiment cru que c’était la fin des haricots"
 
Voiles et Voiliers : C’est finalement votre premier vrai moment de grosse inquiétude sur ce tour du monde.
 
Yann Quenet : Oui c’est vrai. J’ai vraiment cru que c’était la fin des haricots. Comme je le disais, j’ai eu une traversée du pot au noir compliquée qui s’est passée en deux temps, avec une première partie de vent faible, des grains suivis d’une période de vent d’Est relativement faible mais gérable. Je pensais avoir passé cette zone délicate mais au bout de trois ou quatre jours, je suis retombé dans une zone infernale avec des grains beaucoup très violents auxquels succédaient une absence totale de vent et une chaleur insupportable.
"L’eau était vraiment imbuvable !"
 
Voiles et Voiliers : Cela vous a au moins permis de récupérer pas mal d’eau…
 
Yann Quenet : Il est vrai que j’en ai récupéré beaucoup dans cette traversée musclée du pot au noir mais cette remontée de l’Atlantique a duré tellement longtemps que j’ai dû remettre en service mon petit dessalinisateur à main, ce qui n’a pas été sans conséquence puisque l’eau produite était infecte ! Normalement il faut le rincer assez régulièrement mais je ne l’avais pas fait depuis ma traversée Nouvelle-Calédonie – Réunion… Du coup, l’eau était vraiment imbuvable ! Bon, c’était mieux que de ne pas avoir d’eau du tout mais il fallait que je me force pour boire. Bon, cela reste malgré tout anecdotique.
 
Voiles et Voiliers : Cette navigation exclusivement au près doit faire de vous un spécialiste de cette allure à bord de Baluchon désormais !
 
Yann Quenet : Oui ! D’autant qu’avec mon petit gréement (une voile enroulée autour d’un mât pivotant qui fait office d’enrouleur à l’avant du bateau, NDR), je pouvais faire des réglages au quart de poil sans avoir besoin du safran. Je pouvais régler mon cap et ma vitesse rien qu’en jouant sur l’enroulement de la voile autour du mât. J’ai bien progressé sur le réglage subtil de ce gréement au près. Je n’ai d’ailleurs quasiment pas du tout utilisé le régulateur d’allure. Ces 62 jours de navigation m’auront au moins appris celà !

"faut être un peu stoïque et prendre l’adversité comme elle vient"
 
Voiles et Voiliers : Revenons sur la longueur imprévue de cette remontée de l’Atlantique en provenance du Brésil. À quel moment avez-vous commencé à vous rationner en nourriture ?
 
Yann Quenet : Quand le vent est repassé au Nord, après que je pensais pouvoir tirer tout droit vers les Açores, j’ai compris que cela serait beaucoup plus long que prévu et j’ai commencé à compter tout ce qui me restait de nourriture, en me basant sur les prédictions les plus pessimistes qui soit cette fois. Je me suis basé sur une estimation de 55 jours. Mais ce n’était pas encore suffisant . J’ai donc dû me rationner encore plus avant d’arriver aux Açores. C’est là qu’il faut être un peu stoïque et prendre l’adversité comme elle vient.
 
Voiles et Voiliers : Ce qui est un peu dans votre nature !
 
Yann Quenet : Probablement ! Je suis un peu comme ça mais si je reconnais que sur cette traversée, je suis parti un peu le nez au vent et, même si cela n’a pas été vraiment plus dur que les autres étapes de ce tour du monde, j’ai dû me réadapter à la longueur inattendue de ce parcours en cours de route, ce qui m’a demandé de travailler un peu sur moi, même s’il est vrai, je pense que j’ai sans doute un peu de prédispositions naturelles pour traverser ce genre de situations.
"Maintenant que je suis à Horta, je vais pouvoir dessiner le nom de mon bateau sur le quai comme le veut la tradition ici !"
 
Voiles et Voiliers : Vous êtes arrivé ce lundi 27 juin au matin. Quels sont vos plans maintenant ?
 
Yann Quenet : Je vais devoir réduire un peu le temps initial que je voulais consacrer à cette escale. J’ai eu une arrivée très sympa avec beaucoup de gens intrigués par la taille de mon bateau ou d’autres qui étaient contents de me voir car ils suivent mon aventure. Maintenant que je suis à Horta, je vais pouvoir dessiner le nom de mon bateau sur le quai comme le veut la tradition ici. J’ai juste fait un petit détour autour du monde avant (rires). Et puis, je retrouve des gens que je connais déjà, avec qui j’ai noué des affinités tout au long de mon périple entrepris il y a bientôt 3 ans. J’ai prévu de revenir en Bretagne début août. Je pensais initialement rester un mois mais ce ne sera finalement qu’une dizaine de jours.
 
Voiles et Voiliers : Directement vers Saint-Brieuc, là où vous avez construit votre micro voilier Baluchon dans votre garage pour 4 000 € ?
 
Yann Quenet : Oui a priori. Il va falloir retrouver un travail, gagner de l’argent, remettre des chaussures, faire ma déclaration d’impôts… Bref, des trucs de grandes personnes ce qui ne m’enchante pas vraiment mais bon, j’ai aussi d’autres projets enthousiasmants qui vont m’aider à supporter tout cela. Ce tour du monde m’a permis d’apprendre à supporter beaucoup de choses !


samedi 25 décembre 2021

Cadeau Bonus: Interview de pascal Lutz par Diane Jüllich

La Navigatrice Diane Jüllich nous offre pour Noël une vidéo d'un ami navigateur commun à Yann Quénet qui a passé le Cap Horn avec un bateau de 29 pieds (un peu moins de 9m): Pascal Lutz

 

samedi 13 novembre 2021

Récit de la traversée Le Port [La Réunion] - Richards Bay [Afrique du sud]

 Yann Quénet nous partage le récit de la traversée La Réunion- Afique du sud:

 
"Avec un peu de retard, des extraits de la traversée de Baluchon vers l'Afrique du sud:
 
Le matin du départ, c'est un peu l'effervescence, plusieurs amis sont venus me dire au revoir, même que deux d'entre eux se sont ramenés avec une cornemuse, une caisse claire et un énorme Gwen-a-Dü. Dès le petit matin, de la musique Bretonne résonne sur les quais. En même temps que ça me fout une chaire de poule pas possible, ça rameute encore plus de monde. Encore une fois, ce départ ne se fera pas sous le signe de la discrétion.

 
Je ne suis pas en grande forme, quelques jours plus tôt, j'ai été victime d'un guet appen amical (mais néanmoins sournois) au rhum arrangé, je me suis retrouvé comateux au petit matin sous un toit que je ne connaissais pas, avec seulement de très vagues souvenirs du déroulement de la soirée précédente. 
 
Malheureusement je ne me suis pas réveillé comme je l'aurais tant aimé, avec une jolie petite métisse créole à mes cotés, mais j'avais quand même partagé le bout de matelas qui m'avait servi de lit avec de charmantes araignées ou des bestioles dans le même genre, qui en guise d'affection, m'avaient boulotté un pied pendant la nuit , (heureusement elles ne s'étaient arrêtées qu'au pied !) il était devenu violet et tout, gonflé, et comme j'avais éclaté les grosses cloques provoquées par les morsures en les grattant inconsciemment dans mon sommeil, j'avais tout le dessus du pied à vif. En plus d'avoir des kangourous qui jouaient au rugby dans mon crâne , je marchais en boitillant à cause de se foutu pied que je n'arrivais même plus à rentrer dans ma chaussure. 
 
 
Rien que le mot "rhum" me foutais la gerbe, ce qui fait que la soirée d'adieu organisée le soir même avec les copains d'Orialis (un voilier en aluminium croisé en Polynésie qui comptait partir le même jour que moi) à été bien plus sobre. 
 
Photo Régis Henry

 
Malgré ça, ce matin je suis encore bien vasouilleux, je manque sérieusement d'entraînement. La sociabilisation, ça a sûrement du bon, mais visiblement il est temps pour moi de repartir, j'aurais tout le temps de me reposer en mer. 
 
ce séjour à la Réunion aura été tout de même une sacrée escale. [....]
 
Arrivée dans la grande darse d'entrée du port, je peux enfin dérouler la voile et tirer quelques bords.
Tout un tas de gamins sont là à apprendre le kayak sur le plan d'eau, on échange quelques mots. La monitrice très charmante leurs explique que j'arrive de Nouméa et que je pars pour l'Afrique du Sud, visiblement aucun de ces lieux ne dit rien à ces marmots.
-On peut vous accompagner monsieur ?
 
 
À ce moment une bonne bourrasque me tire pour de bon du port, je fais des grands signes aux gamins et aux copains sur les quais.
 
Adieu la Réunion ! Quelle sacrée escale ça a été ! 
 
 
Mais ça fait du bien aussi de reprendre la mer, je suis tout euphorique et je sens mon petit Baluchon impatient de revoir le large. [....]
 
Le trajet cette fois, consiste à contourner Madagascar par le Sud et ensuite tracer plein Ouest vers le port de Richard's Bay, soit une petite étape de seulement 1500 milles. [....]
 
 
La première semaine, le vent n'est pas au rendez vous,, c'est tout mollasson, même si habituellement, le manque de vent m'énerve un peu, cette fois, je plonge avec délectation dans une sorte de rêverie permanente, parfois même, je laisse Baluchon aller comme ça lui plaît, à on arrivera quand on arrivera, y'a pas le feu au lac non plus.
[....]
 

J'ai encore des soucis d'électricité, ma batterie neuve ne charge pas du tout, je pense d'abord à un problèmes sur les régulateurs de mes deux petits panneaux solaires, mais même en les court-circuitant, les panneaux arrivent à peine à compenser la consommation du détecteur AIS qui est particulièrement sobre en énergie, bref cette fois ce sont les panneaux qui sont en train de me lâcher, si ça ce trouve, ce sont même eux qui sont à l'origine de la mort de mes batteries pendant la traversée précédente. 
 
 
Mais ça ne me fait ni chaud ni froid d'être en rade d'électricité, ma nouvelle girouette automatique fait le travail parfaitement, j'ai un feu de navigation de secours qui tient pratiquement deux nuits de suite avec un jeu de piles, et ma liseuse est chargée à bloc, pas la peine de se faire du mouron avec les photons ! Pour ma position, je me contente d'allumer ma tablette une minute par jour pour avoir mon point GPS et suivre le reste du temps le cap au compas, j'ai en plus un GPS classique à pile en réserve au cas où, bref, je pourrais largement tenir des semaines sans électricité, pas la peine de se prendre la tête pour rien finalement.
[....] 
 
 
La pointe sud de Madagascar est réputée pour avoir du mauvais temps presque toute l'année, il est conseillé aux navigateurs de bien contourner l'île par le Sud, pas à moins de 150milles de la côtes , certains préconisent même 200 milles, comme je suis un garçon pragmatique, je coupe la poire en deux et vise à 175 milles, de toute façon, je m'attends à me faire bien brasser, c'est une de mes devises préférée, "Attends toi au pire comme ça tu n'es jamais déçu" .
 
Dès que je commence à bifurquer vers l'Ouest, je sens tout de suite qu'il va se passer quelque chose, il y a très peu de vent, mais le bateau et la voile sont couverts de condensation, des milliers de gouttelettes tombent en pluie sur le pont à chaque fois que la voile faseye, pas besoin d'être experts en météo pour comprendre que le temps va sûrement changer d'ici peu. 
 
Bien vu ! Une heure plus tard presque instantanément, le vent vire radicalement plein sud et se met à souffler très fort, la mer se lève presque à déferler.
 
Dessin de Yves Deniaud
 
 
Ça secoue dur, d'autant que cette fois, pas question d'appliquer, ma méthode du bouchon (appelée aussi la méthode du shaker ou encore de la poule mouillée), méthode qui consiste, face aux situations de mauvais temps à s'enfermer dans le bateau et d'attendre comme on peut que ça ce passe. Cette fois, il n' y a pas le choix, il faut faire comme les grands et affronter la mer en faisant route coûte que coûte, Dans ce secteur, on peut attendre longtemps avant que la mer se calme, et avec ce vent du sud qui a l'air de venir tout droit de l'Antarctique tant il est glacial, on ne peut que dériver que vers le Nord et donc, se rapprocher du plateau continental au Sud de Madagascar avec une aggravation systématique de l'état de la mer.
 
Malgré son manque de puissance et de vitesse, Petit Baluchon se bagarre comme un beau diable face aux éléments, comment je suis trop fier de ce petit navire ! 
 
 
Tout irait pour le mieux sans qu'un bruit effrayant se mette à résonner de partout dans le bateau, j'ai un moment l'impression que quelqu'un est en train de jouer au marteau piqueur sur le pont tellement le bruit est fort, (c'est une image bien sûr, vu l'état de la mer, personne ne peux tenir à l'extérieur sans se faire éjecter dans la seconde, qui plus est, même si je suis le mec le plus sympa et tolérant du monde, je serais tout de même intervenu pour stopper un individu qui s'attaquerait au pont de mon bateau avec un tel engin) .
 
Au bout de plusieurs minutes, j'arrive à localiser d'où vient le bruit, c'est en fait l'extrémité de ma godille, saucissonnée le long de ma main courante, qui se met à vibrer comme une folle, il faut arrêter ça le plus rapidement possible car j'ai peur que ça rentre en résonance et que ça finisse par casser quelque chose. 
 
Depuis un bail déjà, les vis de fermeture du capot avant sont cassées, je serre maintenant le joint d'étanchéité avec deux cordelettes que j'entortille sur deux petit bout de bois, c'est aussi efficace que les vis, mais c'est bien plus long à défaire, surtout dans ces conditions. 
 
Enfin, j'arrive, en passant la tête par le capot à ficeler à peu près correctement le bout de la godille vibrante tout en recevant au passage de bons paquets de mer, heureusement, j'avais auparavant bien pris soins de me foutre à poil histoire de ne pas mouiller mes vêtements. En rentrant à l'intérieur, c'est à nouveau tout un bordel pour remettre les cordelettes de fermeture, les vagues déferlent encore et encore sur le pont, il faut se magner le train. 
 

 
Mais dans la précipitation, les secousses et mes tremblements à cause du froid, je casse un des petits bout de bois de serrage, l'eau pisse de partout, je prends la première chose qui me tombe sous la main pour serrer la cordelette: ma brosse à dent, qui fait le travail parfaitement.
 
Ouf enfin au sec ! Enfin "au sec": façon de parler, comme un con j'ai laissé mes vêtements et mon sac de couchage sur ma couchette du tout est archi trempés, même ma serviette pour m'essuyer. J'arrive tant bien que mal à me sécher, et enfile mon dernier tee-shirt sec, je sorts mon vieux ciré tout moisi pour essayer de me protéger du froid et de l'humidité et me réchauffer un peu. 
 
Baluchon n'a plus vraiment besoin de moi maintenant et file tour seul dans la plume, parfaitement dirigé par Bébert la girouette automatique.
 
Le gros temps va durer comme ça 48 heures sans vraiment de problèmes, à part le fait que je ne peux plus utiliser ma brosse à dent, je vais sûrement un peu puer de la gueule pendant quelques jours, mais, à vrai dire ça ne va pas déranger grand monde.
 
Le reste de la traversée va se poursuivre sous toutes sortes de conditions de mer et de vent, je reprends mes rêveries nonchalantes, le temps passe ainsi bon an mal an, mais je ne suis pas aussi serein et confiant que le sur la première partie. La réputation de sale temps aux alentours de l'Afrique du Sud doit probablement me travailler un peu le cerveau.
[....]
 
 
 
À 150 milles des Côtes Africaines, le vent assez costaud de 30noeuds cesse brutalement, le bateau se met alors à gigoter comme c'est pas permis sur cette mer encore perturbée, impossible de garder la voile à poste tant ça roule, c'est infernal, j'attends une nuit entière à dériver et à me faire secouer comme un prunier, au petit matin je peux enfin mettre de la toile et faire un peu de route, mais c'est assez pénible, le soir suivant, de méga éclairs zèbrent le ciel de partout, accompagnés par des grondements terrifiants, le vent est faible et change de direction en permanence, ça commence à m'agacer. 
 
 
Je visais jusque-ici un point situé à environ 30 milles au Nord de Richard's bay, pour contrer le courant du canal du Mozambique qui déboule à 4-5noeuds vers le Sud tel un tapis roulant géant, mais durant la dernière nuit, encore sous des orages impressionnants, je fais mon timide et me tiens par excès de prudence à environ dix milles de la côte, au petit matin, l'Afrique m'apparaît enfin. Depuis 48 heures je la sentais, une odeur très forte, un mélange de terre mouillée et de végétation, 
 

 
 
-L'AFRIQUE MEC ! L'AFRIQUE !
 
Que je me répète sans cesse sans vraiment y croire.
 
Dessin de Yves Deniaud
 
Mais la belle Afrique est aussi capricieuse, elle sait se laisser désirer, le vent m'abandonne à seulement 7 milles, de l'arrivée, la côte défile devant moi à toute vitesse sans que j'ai la possibilité de m'en approcher, Richard's bay, et les nombreux cargos mouillés devant me regardent passer tranquillement, j'essaye tant bien que mal de profiter du moindre souffle d'air sans beaucoup de résultat, ma voile n'est pas vraiment faite pour le tout petit temps.
 
 

La carte indique plus de 80 mètres de fond, impossible de balancer mon ancre, pas question non plus d'attendre la renverse de courant comme en Bretagne, ici ça descend indéfiniment vers le sud. 
 
Je croise par hasard, un petit bateau de pêche au gros, je l'interpelle en soufflant dans un petit sifflet en plastique, les types à bord on l'air de complètement halluciner quand je leur explique que j'arrive de France.
 
Tout de suite, le patron du bateau appelle un copain à lui à la VHF, pour venir me tracter, (ha oui tiens la VHF ! Ça ne me vient toujours pas à l'esprit d'utiliser cet appareil, il me reste pourtant quelques volts pour un appel, je préfère visiblement mon petit sifflet en plastique). 
 

Quinze minutes plus tard, une petite barge qui sert au transfert des équipages sur les cargos au mouillage vient exprès vers moi pour me remorquer, les gars sont super courtois et amicaux, on se présente par nos prénoms, Baluchon est alors tracté tranquillement, on s'arrête un moment pour prendre une équipe sur un cargo et on se dirige vers l'entrée du port.
 
Pendant ce temps, le vent se lève enfin, je suis un peu déçu, j'aurais peut-être pu rentrer par mes propres moyens. 
 
 
 
A 1milles de l'arrivée, un semi-rigide des sea-rescue vient prendre le relais pour le remorquage, je me sens gêné de déranger tous ces gens, mais ça ce fait d'une manière si naturelle et professionnelle, que l'entraide entre marin semble couler de source. 
 
 
Photo Jenny Crickmore-Thompson

Une demi heure plus tard je suis amarrée, au quai d'entrée à Tuzzi Gazi, j'aperçois avec étonnement deux singes qui se trimbalent sur le quai. 
 
WELCOME TO SOUTH AFRICA!
 
Photo Ishwar Ramlutchman

 

dimanche 1 août 2021

Nouvelle Calédonie-La Réunion: "La Longue Route". [mai-juin-juillet 2021] (Récit de Yann Quénet)

Depuis plus de trois semaines maintenant, je n'arrête plus d'être invité midi et soir pour des repas ou des apéros d'adieu; il est temps que ça se termine, je commence à prendre du ventre, à ce rythme, je ne pourrai bientôt plus rentrer dans mon bateau; ça permet quand même de faire quelques réserves et de ne pas trop avoir le temps de penser à la très longue route qui m'attend.



Le matin du départ, plein d'amis sont venus sur le quai pour me souhaiter bon vent et m'emmener quelques gâteaux, bonbons ou boites de sardines, je suis très ému, même si Baluchon est déjà chargé à bloc et que je commence à faire des indigestions rien qu'à la vue d'une boîte de sardine, je n'ose pas refuser.

 



La sortie du port et du lagon se passe tranquille sous un petit vent pépère, je suis accompagné par plusieurs bateaux, et même un moment par la vedette de la gendarmerie maritime, sur le moment, j'ai un petit moment d'inquiétude, j'espère qu'ils ne vont pas me demander les papiers du bateau et contrôler mes équipements, mais non, les gendarmes eux aussi ont fait un petit détour rien que pour me souhaiter bon voyage.


Au sortir de la passe, je me retrouve enfin seul, j'ai une sensation de vertige quand j'ouvre la carte sur ma tablette, le trajet me paraît tout à coup complètement démesuré, je me demande sur le coup si je n'ai pas perdu le sens commun pour me lancer sur une distance pareille sur un si petit bateau.

 



Pour couronner le tout, j'ai une très forte douleur à la poitrine. Dans un moment de délire hypocondriaque, je pense que je suis en train de me faire une petite crise cardiaque, pauvre chouchou ! Je sais bien que l'accueil en Nouvelle Calédonie a été plus que chaleureux et que ça fout les boules de partir, mais de là à passer l'arme à gauche, c'est quand même un peu exagéré, d'autant que j'ai encore plein de choses à faire avant.

En m'allongeant quelques heures, la douleur s'estompe peu à peu, mais je suis tout barbouillé, ce n'est en fin de compte qu'un vulgaire mal de mer mélangé à une sorte de crise d'angoisse .

Au bout de deux ou trois jours, j'arrive à prendre quelques repères et à me réhabituer progressivement au roulis incessant de Baluchon, je retrouve mes innombrables petits bleus tout autour du bassin à force de me cogner contre les bords du capot.

Le pilote automatique fait son boulot bien consciencieusement, mais parfois se met en veille, ça je connais comme panne, c'est juste une connexion électrique pas trop nette, je fais une petite inspection sur toute la ligne, en pulvérisant du nettoyant contact et en grattouillant les connexions, mais malgré ça, ça recommence de plus en plus souvent, bizarre comme truc ?! Je vérifie alors les batteries et là horreur ! l'une d'elle dépasse à peine les 11volts et 11,5 pour l'autre, ce n'est pas ce qu'on peut appeler la grande forme pour des batteries. 

 


Pourtant les deux petits panneaux solaires débitent de l'électricité convenablement, je ne devrais pas les avoir si vides. En essayant de les charger une par une, celle de 11v ne veut plus rien charger du tout, l'autre arrive péniblement à 12v en toute une journée de charge pour redescendre tout doucement pendant la nuit sans qu'il n'y ai rien de branché dessus, bref, elles sont carrément mortes. C'est comme ça chez les batteries! Quand une claque, l'autre, par solidarité claque aussi, c'est beau et noble, mais moi, ça ne m'arrange pas du tout, j'ai encore près de 6800 milles à parcourir avant le prochain magasin de batterie. 

Pendant un instant, j'envisage de faire demi tour vers Koumak, une petite ville au Nord de la Nouvelle Calédonie qui n'est encore qu'à vingt quatre heures de navigation, de là, en seulement quelques heures de car, je pourrais rejoindre Nouméa et m'acheter une nouvelle batterie, facile! Mais rien que l’idée de faire demi tour me rebute au plus haut point, non ! 

Pas question de revenir en arrière, cap à l'Ouest coûte que coûte.Il faut juste trouver un moyen pour faire naviguer Baluchon tout seul, le reste pourra très bien ce faire sans électricité. Depuis mon départ de France, j’annonçais crânement à qui voulait bien l'entendre que mon bateau était si bien conçu et équilibré qu'il pouvait très bien naviguer sans pilote, c'est le moment de le prouver, j'essaye plein de petites astuces délirantes, rien n'y fait, Baluchon n'arrive pas à garder son cap plus d'un e demi heure, avant qu'une vague ou une bourrasque le fasse dévier de sa route. Ça me contrarie un peu. Il faut absolument que je bricole un régulateur d'allure de fortune. 

Il me faut pratiquement une journée de cogitation pour imaginer avec le peu de matériel que je possède à bord, une sorte de grosse girouette qui agira sur la barre quand le bateau dévira de cap par rapport au vent. Au début, je suis un peu sceptique quant à l'efficacité de ma girouette, je me mets en tête qu'il me faudra plusieurs jours de bidouillage pour trouver un résultat à peu près correct, mais qui n'essaye rien n'a rien.Miracle! Au bout du deuxième essai, la girouette marche à la perfection, c'est tellement étonnant que je reste presque une heure comme un nigaud à regarder hypnotiquement cette sorte d'installation de bric et de broc barrer parfaitement. Bien sûr, ça demande un peu de subtilité dans la tension des drosses et il faut que la voile soit impérativement réglée au quart de poil, mais l'ensemble fonctionne en silence et avec efficacité, c'est quasiment magique, je décide de baptiser la girouette Bébert (un clin d'œil à mon copain Bébert de Bretagne qui lui, ouvre tout le temps sa gueule et est totalement inefficace ). J'essaye d'améliorer un peu le système mais comme toujours, le mieux est l'ennemi du bien, ça marche moins bien, je remets le tout comme au départ et me jure de ne plus toucher à rien tant que ça fonctionnera. 

Je reprends mon chemin serein, laissant à la batterie la moins faible le fonctionnement du détecteur AIS, ça tiendra le temps que ça tiendra...j'ai un feu de navigation de secours à pile pour quand je croise un autre bateau. Pour ma tablette et ma liseuse, je les charge directement au cul d'un des panneaux et ça marche parfaitement. Ça aurait été vraiment trop bête de faire demi tour pour si peu. 

En arrivant, une vingtaine de jours plus tard, à l'entrée du détroit de Torres entre la Papouasie-Nouvelle-Guinée et le Nord de l'Australie, le temps jusque là gris et maussade se met au beau, le ciel devient tout bleu et la mer turquoise, j'en profite pour faire sécher mon matelas et l'intérieur du bateau. Depuis une bonne semaine, la mer était devenue assez vicieuse et roublarde pour m'envoyer des paquets de mer en veux tu en voilà, surtout quand j'avais besoin de sortir la tête du capot pour régler Bébert, ce qui me donnais à chaque fois la joie de prononcer quelques jurons bien dégoulinants.

L'intérieur de Baluchon est trempé, poisseux et saturé de sel, ça pue le moisi, la sueur, la pisse et le poisson pourri et je n'ai plus de vêtements secs, c'est pas vraiment la joie.

Le détroit avec ses innommables récifs et ses courants sournois se montre très indulgent envers moi avec un petit vent modéré, j'avais fixé la date de mon départ de Nouvelle Calédonie afin d'arriver ici pendant la pleine lune, ce qui fait que je distingue parfaitement les récifs et les îlots en pleine nuit. 


 

Mais ce que je redoutais le plus en rentrant dans la zone Australienne était la réaction des gardes côtes. Depuis Nouméa, j'en avais entendu de histoires sur ces fameux gardes côtes, des trucs de dingue, du style tu peux avoir une amende de plusieurs millions de dollars voir même faire un séjour en prison juste parce que tu t'es trompé d'un numéro dans l'adresse de ton hôtel ou que tu as oublié une pomme de ton déjeuner dans ton sac à dos, bref, pour un client dans mon genre, avoir affaire à des gens un peu trop stricts m'inquiétait un peu, d'autant que d'après ce qu'on m'a dit, des avions survolent la zone du matin au soir pour te poser sans cesse une liste de questions longue comme le bras, moi qui déteste causer à la radio, ça s'annonce mal.Quand j'ai aperçu mon premier avion de contrôle, cela faisait déjà vingt quatre heures que je zigzaguais bon an mal an parmi tout un tas d'îlots coralliens, j'ai bien préparé ma vhf portable ainsi qu'un petit papier, où j'avais écris plein de choses sensés intéresser des douaniers tel que: ma date de naissance, la pointure de mes chaussures, le nom de jeune fille de ma grand mère ou la couleur de mon caleçon. Je me suis bien raclé la gorge en attendant fébrilement. Quand l'appel est venu, le douanier à l'autre bout était très courtois, il m'a juste demandé d'où je venais et où j'allais comme ça dans mon petit "vessele", il m'a aussi demandé la taille de mon bateau, quand j'ai répondu, j'ai entendu des grands wouah et des rires dans la cabine de l'avion, l'opérateur m'a alors souhaité bon voyage dans mon "incredible" aventure. Quand l'échange s'est terminé et que l'avion s'est éloigné, je me suis retrouvé tout chose et tout ému. Quel sacré ce Baluchon! pouvoir rendre sympathiques des hommes passants pour les plus psychorigides du monde, c'est pas donné à tout le monde quand même.

Malgré le manque de sommeil et la fatigue, je passe petit à petit et assez facilement le labyrinthe de Torres, jusqu'à qu'à frôler l'île Hammond, juste à côté de l'île du Prince de Galles tout au Nord de l'Australie, en fait, ce n'était pas vraiment nécessaire pour moi de descendre si près de la côte mais j'avais en tête de pouvoir capter le réseau téléphonique Australien histoire d'envoyer quelques nouvelles, bingo ! ça marche je reçois un SMS: mon opérateur m'accompagne en Australie (sympa!), j'envoie quelques messages,mais je n'arrive pas à capter internet, pas grave, j'essaierai de me rapprocher à nouveau de la terre plus tard, pour l'instant, il fait nuit et je suis naze, j'entreprends la dernière partie du chenal.

 

Je croise trois gros cargos à la queue leu leu, nos routes se coupent d'un peu près c'est vrai, mais j'ai assez de vent pour manœuvrer et les éviter, mais les cargos eux, on l'air un peu sur les nerfs, deux d'entre eux actionnent leurs sirènes comme des gros tarés semblant me dire "dégage de là connard!" je suis le seul autre bateau dans le coin et je le prends pour moi. Comme par hasard, l'internet sur mon téléphone se met en fonction juste à ce moment, ça envoie des dizaines de bibs de notifications, vingt jours d'abstinence numérique et ça déclenche autant d'alarmes que sur un avion de lignes en détresse, et ces putains de cargos qui recommencent leur cinéma avec leurs sirènes, tous ces bruits me stressent à mort, à tel point que je suis à deux doigts de sortir ma vhf pour «prier» à ces klaxoneurs de mes deux de fermer leurs grandes gueules.

Finalement je fais un grand détour pour éviter ces mauvais coucheurs et pour me calmer un peu, je dois être vraiment crevé pour me mettre dans un état pareil, il faut absolument me reposer et reprendre des forces dans les prochains jours, d'autant que j'en suis à à peine un quart du parcours. 

 


J'arrive quand même à envoyer un post sur les réseaux sociaux et quelques messages personnels, je parcoure en vitesse mes mails: rien d'important pour moi, j'éteins vite fait le téléphone et reprends mon cap à l'Ouest.Quelques heures plus tard, je suis enfin sorti du détroit, je me fais une bonne plâtrée de nouilles lyophilisées avec une tonne de fromage en poudre et m'allonge pour un bon roupillon, mais, en mettant l'alarme pour 40 minutes de sommeil, j'oublie de l'enclencher, je me réveille presque quatre heures plus tard en plein jour en plein milieu d'une zone infestée de cargos, pas vraiment prudent comme attitude. La prochaine fois, il faudra mieux gérer mon sommeil et les retours, même momentanés à l'approche du monde des gens. 

La suite, la traversée de la mer d'Arafura et la mer du Timor, qui consiste à longer tout le Nord de la Côte Australienne, se relève aussi ennuyeuse que navrante. Ennuyeuse car le vent faiblart et toujours pile vent arrière m'oblige à tirer de grands bords à la vitesse d'un bigorneau. Navrante également, car la mer est quasiment recouverte de déchets plastiques, c'est la première fois depuis mon départ que j'en croise autant, l'être humain est vraiment un sacré sagouin quant on y pense. Tout cela, ajouté avec déception de ne pas pouvoir m'arrêter en Australie, point d'orgue initial de mon voyage, me fait paraître cette partie de l'étape très longue et très morose. Pour me consoler, en passant au large de Darwin, je me rappelle du roman de Douglas Kennedy: piège nuptial. C'est peut-être une bonne chose après tout cette pandémie, car, dans l'affligeant état de manque de douceur féminine dans lequel je me trouve, j'aurais moi aussi été tout à fait capable de prendre cette auto-stoppeuse complètement maboule en plein milieu du bush Australien.

Autre point positif: je suis en permanence sous des ciels d'une beauté à tomber par terre, les levés et couchés de soleil sont époustouflants, ça ne compense évidemment pas le fait de naviguer sur une mer de plastique dégueulasse, mais ça met quand même un peu de poésie dans le paysage. 

 


Au bout d'une vingtaine de jours, j'arrive enfin à atteindre l'Océan Indien, le manque de vitesse est à deux doigts de me rendre fou, j'en suis presque à réclamer à corps et à cri un peu de vent. Mon royaume pour de l'alizee ! Ha tu veux du vent mon petit père!? Attend un peu ,en voilà!À peine 100 milles après le point le plus à l'Ouest de l'Australie, le vent vire enfin au Sud Est, chouette ! Mais cette fois, ce n'est pas de l'alizee de fillette comme dans le Pacifique, c'est bien plus musclé, le vent, pendant presque tout le reste du parcours va pratiquement rester constamment aux alentours des 35 nœuds, ce qui commence à être un peu beaucoup pour un bateau de 4 mètres. 

 


Mais je sens mon petit Baluchon dans son élément, content de lutter contre la mer et le vent. Les moyennes journalières descendent rarement en dessous des 100 milles malgré l'état de la mer chaotique, quelques fois, quand le vent mollit et atténue un peu les vagues, j'arrive à parcourir jusqu'à 120 milles dans la journée, ça change de mes piteuses moyennes Australiennes. 

En dépit du manque de confort extrême, je suis moi aussi super heureux d'être là, je n'échangerai ma place pour rien au monde.Pour donner un ordre d'idée des conditions de navigation, il faut s'imaginer coincé dans bobsleigh qui dévalerait une piste de noire de ski de près de 6000km préalablement pilonnée par l'artillerie d'une armée Teutone en grande forme.

 

Plusieurs fois par jour, Baluchon reçoit des claques monumentales qui l'envoient direct au tapis, il s'en suit alors un court moment de silence avant qu'il ne se redresse face au vent. Le minuscule bout de voile en place se met alors à fasseyer comme alcoolique Breton atteint de la maladie de Parkison, provoquant des vibrations délirantes dans tout le bateau, puis Bebert remet petit à petit Baluchon sur son cap qui repart de plus belle affronter les vagues suivantes. 

J'arrive à développer une sorte de sixième sens, dès que je sens qu'on va se prendre une nouvelle trempe et se coucher, je mets immédiatement les pieds au plafond ce qui m'évite de me faire éjecter de ma couchette.Tous les objets qui ne sont pas parfaitement amarrés sont également catapultés sous les coups de butoirs, c'est de cette façon que mon précieux couteau suisse, ma lampe frontale et mes lunettes de lecture sont plus d'une fois envoyés valdinguer dans l'immensité de la cabine, je mets à chaque fois des plombes pour les retrouver en fouillant partout dans le bateau qui secoue comme un dément.Coincé comme je peux sur ma couchette, j'essaye tant bien que mal de continuer à avoir un semblant de vie "normale", je passe mon temps entre, rêvasser, lire, manger froid et dormir, quand j'arrive à avoir suffisamment d'électricité pour ma tablette je mets en boucle "la grange" mon morceau préféré de ZZtop, je trouve que ce bon vieux rock basique s'accorde parfaitement aux conditions et au rythme de cette traversée. 

Au niveau lecture: J'arrive péniblement à terminer voyage au bout de la nuit de Céline : trop noir et déprimant pour moi, puis un Giono: pas mal, ça me dépayse de mon univers aquatique les histoires d'hommes de la terre. Je relis aussi le vieille homme et la mer, même question que lorsque je l'ai lu pour la première fois à onze ans: pourquoi diable le vieil homme, pendant qu'il avait encore son couteau, n'a pas débité le maximum de morceaux de l'espadon avant de tout se faire piquer par les requins ? Suis je trop terre à terre pour les allégories sociales ? Je remet aussi sur le tapis Baudelaire que je n'avais pas encore réussi à apprécier malgré de nombreuses tentatives, cette fois j'essaye de lire à haute voix, debout, le buste sortant du capot, recevant des paquets de mer en pleine gueule en retour, je déclame les vers à l'océan, à quelques poissons volants et à des oiseaux de mer qui on l'air de s'en foutre complètement, c'est peut être ça le secret de la poésie, il faut être debout et avoir un public. mais pour être honnête, le support n'est pas du tout adapté, lire de la poésie sur une liseuse électronique ne peut pas vraiment apporter de stupeur Stendalienne, chose à faire à la prochaine escale: se procurer une version papier des fleurs du mal, je m'essaie également à la philosophie histoire de ne pas trop passer pour un ignare si un jour je croise un intello, j'attaque Nieitzsche, mais c'est totalement incompréhensible pour moi, j'ai beau relire deux,trois,quatre fois la même phrase je ne capte que dalle, qui peut comprendre ce genre de texte? J'abandonne au bout d'une dizaine de pages et me rabats sur des recueils de nouvelles de Bukowski, ce type est un génie.

 

En passant au large de l'île Rodrigue à 450milles de l'arrivée, je me rapproche de la côte pour pouvoir capter le réseau téléphonique, mais rien que le fait de mettre un post et d'envoyer un message par internet, je reçois immédiatement une facture de 50 euros, Bim ! 

 

Prend ça dans ta face! J'éteins illico et sans demander mon reste mon téléphone, c'est sans doute le prix à payer pour pouvoir donner des nouvelles, à priori mon tracker n'envoyait plus de signal depuis un bon moment ça devrait rassurer la famille et les potes.

 


En vue de l'île de la Réunion au bout de 77 jours de mer, je suis bien content,j'ai vraiment repoussé mes limites et beaucoup appris sur moi même et sur lamer pendant cette très longue étape. 

 

Fresque réalisée par Eric Marech

Certes, il y a eu pas mal de journées bien galères, mais dans l'ensemble à part l'épisode des batteries, je n'ai pas rencontré de problème technique, j'ai eu assez de nourriture, j'ai eu aussi assez d'eau en récupérant, en plus des 110 litres embarqué au départ une trentaine de litre d'eau de pluie, plus une dizaine par le dessalinisateur manuel. 


 

Arrivée au port à la godille, pas mal de gens sont sur le quai pour m'accueillir,c'est la première fois depuis le début de mon périple que ça m'arrive, quelqu'un agite même un drapeau Breton, c'est trop sympa, mais dès que je mets les pieds sur le ponton, mes jambes arrivent à peine à répondre à mes ordres, j'ai un mal fou à marcher droit, ça fout un peu la honte, tout le monde doit penser que je suis complètement bourré et que j'ai abusé de la mignonnette de rhum qu'on m'a offert au départ, Mais quelle mauvaise image de la Bretagne je dois donner !?

 

Dès les formalité portuaires et douanières effectuées, plein de gens font la queue sur le ponton pour venir me parler et pour m'emmener quelques victuailles, ça me fait tout drôle après tout ce temps tout seul en mer, cette escale a la Réunion promet elle aussi d'être des plus agréable!